«Puisque vous n’êtes plus inscrit(e) au tableau de l’Ordre, vous ne pouvez plus exercer la pharmacie ni porter le titre de pharmacien ou le titre de Fellow de l’Ordre des pharmaciens du Québec, si ce dernier vous a été accordé.»
Le message plus haut faisait partie du courriel que j’ai reçu de l’Ordre des pharmaciens du Québec quand je n’ai pas renouvelé mon permis l’année dernière. J’aurai donc porté le titre de pharmacien durant 42 années. Et à moins de continuer à payer, je ne peux plus utiliser ce titre. Contrairement à la France, au Québec, on « cesse d’être » pharmacien quand on ne cotise plus.
Ma fascination pour le médicament me vient probablement de l’asthme dont je souffrais, jeune. Tentes d’oxygène à l’hôpital, sirop de théophylline, comprimés de Tedral, étaient ce que mon médecin de l’époque prescrivait pour atténuer mes symptômes. Ils étaient soient peu efficaces ou créaient beaucoup d’effets secondaires. Ma mère s’est aperçu après quelques mois que je faisais une consommation anormale de Tedral. Ce médicament contenait un barbiturique et j’aimais le buzz qu’il me donnait. À 9 ans… J’en ai passé des nuits blanches assis sur le bord de mon lit, jusqu’à ce que j’aie le dos en feu, à avoir peur de manquer d’air. Incapable de pratiquer quelque sport que ce soit. Sortir l’hiver était suffisant pour déclencher une crise. Allergique à tous les poils, à l’humidité. Alors, pas de sorties avec les scouts, ou de voyage avec les cadets. Pas de «sleepover » chez les amis qui avaient des animaux. Fragile et tanné! Jusqu’à ce que, coup de tonnerre, l’inhalateur Ventolin fasse son apparition au début des années 80. Voilà que je commence à pouvoir courir sans devoir passer deux heures pour reprendre mon souffle. Faire du camping, voyager sans stresser… Ma vie a été transformée par un inhalateur! Une merveille du mariage entre la technologie et la pharmacologie…
Tout ceci m’a longtemps servi d’alibi à la question, « Pourquoi as-tu choisi la pharmacie? » Après tout c’est vrai et c’est élégant. Mais en réalité, mon désir profond, c’était de devenir médecin. Comme mes trois amis du C.E.G.E.P. avec qui j’étudiais tous les week-ends quand je ne travaillais pas à faire le ménage à l’hôpital de Chicoutimi. Au fond, je n’avais pas osé m’inscrire en médecine, de peur d’être refusé. Et donc…
Nous sommes en 1976. Je reviens tout juste du chantier LG2 à la Baie James où, grâce à mon père, j’ai travaillé pour pouvoir me payer mon université. C’est la première session à l’École de Pharmacie à l’Université Laval. Après deux semaines, je réalise que je devrai passer quatre ans de ma vie à écouter ce que je peux lire moi-même dans les bouquins. C’est comme ça que je décide de compléter mon baccalauréat sans assister aux cours, sauf si c’est absolument nécessaire ou intéressant.Des professeurs intéressants, j’en ai rencontré trois en particulier :
Le professeur Parent, si tendre, qui se présente au premier cours en utilisant les mots de Joe Dassin pour nous exprimer ce qu’il ressent : « Y’a des étudiants qui rêvent d’avoir terminé leurs études et des professeurs qui rêvent de les recommencer ».
Le professeur de pharmacognosie Favreau, avec son trouble de langage qui le rend si sympathique. Celui-ci me dispense d’aller au cours, à la condition que je rédige un essai sur les utilisations médicales du cannabis et leurs impacts sociaux.
Enfin, le chargé de cours, Marc, qui plus tard fondera Anapharm, et deviendra producteur de films. Marc avait déjà le look de quelqu’un qui ne resterait pas longtemps entre les murs tristes et sans couleurs de l’École de Pharmacie.
Quant aux autres professeurs, ceux-ci semblaient prendre un malin plaisir à me détester. Comme ce professeur de dermatologie qui me susurrait à l’oreille pendant un examen, que la réponse à cette question ne se trouvait pas dans les manuels et que seulement ceux qui avaient assisté au cours pourraient la connaître. Ou celui de chimie médicinale qui prétendait avoir perdu un de mes examens pour me forcer à le reprendre. Ce qu’ils ne savaient pas, c’est que durant toutes ces années j’ai pu compter sur une amie pour avoir les notes de certains cours. Elle m’avait imposé une condition : que je ne veuille pas obtenir 90% dans mes examens. Par principe.
Le seul cours auquel j’aurai été assidu s’appelait « Aspects psychologiques de la pharmacie ». J’étais triste en réalisant qu’alors que j’avais frayé avec des étudiants de littérature et de musique pour découvrir Ferré, Brel, Bach etc., plusieurs de mes collègues avaient passé quatre années à se bourrer le crâne de formule chimique, de formes pharmaceutiques et autres trucs que nous n’allions jamais utiliser. Ce dont nous aurions surtout besoin dans l’exercice de notre profession s’appelait communication et empathie face à notre future clientèle. On m’a dit que le professeur chargé de ce cours avait utilisé comme argument que j’y avais assisté de façon assidue, pour s’y faire reconduire l’année suivante. C’est aussi le cours où j’ai obtenu ma plus haute note. En toute humilité…
L’autre truc marquant durant mes années d’université, c’est lorsqu’une étudiante à la maîtrise est venue dans un de nos cours afin de recruter trois « cobayes » pour son projet de thèse. Moyennant une rétribution de $100.00, nous avions à passer deux samedis au CHUL pour y recevoir 500 mg d’aspirine plus, 10 mg de Valium, ou un placebo. Évidemment nous ignorions quel week-end nous allions recevoir le vrai Valium! Et nous avons été euphoriques les deux samedis. Ce qui m’a fait réaliser, pour la première fois, le pouvoir du placebo.
Ces années de rébellion m’ont marqué. Et les professeurs ont sans doute eu leur revanche, parce qu’au moins une fois par année, je fais un rêve récurrent. Dans ce rêve, il me manque trois crédits pour obtenir mon bacc et je rate l’examen qui me les donnera parce que j’arrive en retard. Déjà, ça présageait du prix qu’il me faudrait payer d’avoir été rebelle!
Quoiqu’il en soit, j’obtiens mon diplôme en 1980. Et c’est à cette époque que les premières manifestations de mon problème de santé mentale apparaissent. Je devrai faire un séjour de trois semaines à l’Institut psychiatrique Roland-Saucier de Chicoutimi. On me diagnostique un trouble de personnalité narcissique. Plus tard, ce diagnostic se transformera en maladie bipolaire de type II. Il me faudra prendre un an de repos avant de faire le stage qui m’amènera derrière le comptoir d’une officine, comme pharmacien, sur la Rive-Sud de Montréal, dans une des succursales de ce qui deviendra un géant. Avec quatre techniciennes, nous « faisons » cinq cents ordonnances par jour. Très tôt, ma relation avec les « techs » se détériore. Je m’étais entendu avec le propriétaire que je ne compterais pas de pilules. Parce qu’à l’époque, les « plus gros vendeurs » comme Aldomet, Atromid-S et Hydrodiuril, étaient comptés à l’avance pour accélérer la performance de cette véritable chaîne de montage. J’avais dit à mon patron que je passerais les périodes creuses à lire mes trucs de formation continue, à agrandir mes connaissances, tout en lui promettant de ne jamais lire le journal. Toutefois, il était clairement spécifié que je ne compterais pas de pilules. Étant donné que les autres pharmaciens le faisaient, eux, les «techs » m’ont pris en grippe. C’est pourquoi j’ai décidé d’aller travailler dans trois pharmacies différentes à chaque jour, histoire de changer d’air. Le matin à Brossard, l’après-midi à St-Hubert et le soir à Longueuil.
Mais après une année à ce rythme effréné, j’ai commencé à avoir des problèmes de digestion. Manger dans un bureau exigu, en vérifiant les paniers d’ordonnances que les techniciennes mettaient devant moi, c’était bien loin de l’idée que je me faisais de cette profession, qui ne m’apportait rien, non plus qu’au public. Puis je trouvais ordinaire d’arbitrer la distribution des formats de Coke 2L qui étaient « en spécial » auprès de clients qui voulaient en acheter 6 au lieu de 3. Mais ce qui m’a fait réaliser que ce job n’était pas pour moi, c’est le jour ou un des propriétaires m’a fait la morale parce que je recommandais le sirop pour la toux de dextrometorphan comme ingrédient unique ou des pastilles glycérine miel et citron au lieu des pastilles avec ajouts d’ingrédients médicinaux. Tout ça parce que le sirop de la marque maison et autres pastilles contenant plusieurs ingrédients, c’était meilleur pour la marge de profit. Mon compas moral perdait le nord.
C’est donc après un an seulement comme pharmacien que j’ai décidé de quitter la profession. J’ai vendu ma voiture, suivi tous les cours d’anglais possibles et commencé un certificat en relations publiques. J’envisageais devenir animateur à la radio.
Durant cette année, je me suis aussi inscrit au programme « Les belles soirées en biotechnologie» de l’Université de Montréal. J’y ai rencontré Aurélien Beaulnes, le directeur de l’Institut Armand-Frappier de l’époque. Il m’avait recommandé de m’informer sur Genentech, un laboratoire de San Francisco, co-fondé par Herb Boyer, le scientifique ayant découvert les enzymes de restriction qui rendaient possible la fabrication de médicaments à partir de la recombinaison génétique.
Comme ma voiture était une Renault 5 sur son déclin, mon année sabbatique a plutôt duré trois mois et je me suis vite retrouvé à cours d’argent. Résigné et la mort dans l’âme, j’ai recommencé à travailler dans les pharmacies. Sans voiture, je me tapais Laval – Brossard en autobus-métro. Même aujourd’hui, c’est assez costaud comme trajet.
Un jour, Ronald, un représentant médical que j’aimais bien, vient faire sa tournée habituelle de la pharmacie, et m’annonce qu’il a eu une promotion. D’après lui, j’ai l’étoffe d’un vendeur et je devrais appliquer pour le poste qu’il laisserait vacant. Pas convaincu, mais certain en tout cas que la pharmacie me tuerait à petit feu, je postule et décroche l’emploi chez Merck Frosst Canada. Je deviens un de ces monsieurs qui se promènent avec une voiture de compagnie, qui portent une cravate et transportent une grosse valise noire remplie de « detail aid », d’échantillons de médicaments et de « cadeaux de l’industrie pharmaceutique ».
Le matin de ma première journée sur la route, mon « trainer » m’attendait devant chez moi et j’avais des sueurs froides. Je ne voulais plus y aller. Je me disais que j’étais tombé bien bas, de pharmacien à vendeur. C’est bien parce que mon amoureuse, Sylvie, m’a poussé dans le dos, que j’y suis allé. Que j’ai pris ma grosse valise noire, mon Chrysler Reliant K et suis allé déballer mon charabia à mon premier docteur.
Rapidement, j’ai pris de l’assurance. L’année d’après, Merck me donnait une promotion comme représentant hospitalier sur l’ïle de Montréal. Avec un défi très clair: faire entrer au formulaire de trois hôpitaux, leur antibiotique-vedette, le Mefoxin. Si je réussissais, on me donnait une promotion au marketing.
J’y mettrai deux ans. Comme dans la transformation numérique d’aujourd’hui, il me fallut trouver les « champions » dans chaque hôpital. Ceux qui avaient besoin de quelque chose pour atteindre leur but. Ce quelque chose, je l’ai trouvé dans chacun des cas : Dans le premier cas, il s’agissait d’un médecin qui cherchait du support pour organiser les campagnes de sensibilisation chez les communautés à risque de contracter le sida.
Un groupe de chirurgiens du deuxième hôpital voulaient créer un syllabus des « défis en chirurgie abdominale ». Dans ce dernier cas, un événement cocasse s’est produit : J’avais préparé la demande d’inscription au formulaire en utilisant ma dactylo Canon, la première dactylo électronique portable. J’ai paniqué quand le pharmacien-chef de l’hôpital m’a appelé pour me dire qu’il avait reconnu les polices de la dactylo. Et que c’était moi et non les médecins qui l’avait rédigée. C’était avec ma Canon que j’avais écrit mes lettres d’intro un an auparavant et il avait fait le lien. Gentleman, il avait laissé passer la demande.
Dans le troisième hôpital, je suis devenu ami du microbiologiste. C’est donc comme ça que j’ai obtenu ma promotion et me suis retrouvé au marketing, avec mon propre bureau.
Parfois, il nous arrive des choses, et on se demande vraiment si c’est une coïncidence. Une semaine après avoir commencé dans mon nouveau poste, je suis donc au siège social chez Merck, quand je reçois un appel d’une firme de recrutement de Toronto. On m’explique que Genentech, la compagnie californienne dont Aurélien Beaulnes m’avait parlé, cherche ses trois premiers représentants au Canada. Je crois rêver!
J’obtiens le poste. Cette année-là, mon père achevait sa vie à l’hôpital, atteint d’un cancer du colon. Il m’avait supplié de ne pas manquer ma première formation à San Francisco même s’il savait qu’il n’en avait plus que pour quelques jours. Il était rempli de joie de voir son fils aller travailler pour une firme de Californie. La Californie! Là où se trouvait cette belle maison photographiée dans une revue. À partir de cette photo et selon les mêmes plans, il l’a lui-même construite avec ses frères et son père à Alma, au Lac Saint-Jean.
Je passerai neuf ans de ma vie chez Genentech, comme représentant puis comme directeur des ventes pour l’Est du Canada. J’ai rencontré les deux fondateurs de la compagnie, Bob Swanson et Herb Boyer, deux êtres humains exceptionnels. Herb était le scientifique de l’UCSF. Sa découverte des enzymes de restriction permettait de scinder un gène à un endroit spécifique puis de le réinsérer dans une bactérie E. coli pour que cette bactérie puisse produire le médicament encodé dans le gène. C’est comme ça que l’insuline humaine a été produite dans les labos de Genentech. Il faut se souvenir qu’avant cette découverte, les diabétiques devaient reçevoir de l’insuline extraite des pancréas de porc et de bœuf. Avec tous les inconvénients que ça comporte. Cette découverte a catalysé la révolution de la biotechnologie. Elle a mené au CRISP-R, à l’immunothérapie et l’ère de ce qu’on appelle maintenant les « biologiques »
Bob Swanson était l’investisseur. Il travaillait chez Kleiner Perkins, la plus grande firme de capital de risque aux É-U. C’est Kleiner Perkins qui est derrière Apple, Amazon, Google, eBay, c’est vous dire… Bob a essayé durant plusieurs mois de convaincre Herb de créer Genentech. Herb résistait, jusqu’au jour mémorable, où en prenant une bière dans une taverne de San Francisco ils décidaient d’investir chacun $500 pour fonder la compagnie. Sur le campus à South San Francisco, une statue de bronze immortalise ce moment.
Genentech, c’était l’innovation dans sa plus pure expression. Les scientifiques qui y travaillaient pouvaient également consacrer du temps à eux, pour leur recherches personnelles. Nous avons eu une messagerie électronique avant AOL et Compuserve. On pouvait même réserver nos billets d’avion en ligne! Et Wall Street était en amour avec l’entreprise. De plus, il n’y avait pas de place de stationnement réservée. Chez Genentech, tout le monde était égal. À l’heure du lunch, les employés pouvaient aller faire du surf dans la baie de San Francisco. Les vendredis après-midi, il y avait les Ho-Ho meetings. À ces réunions, on retrouvait des dégustations de bières faites maison. Parce que la fermentation de masse était une des étapes dans la fabrication de nos médicaments, nous possédions une expertise malade!
En raison de la petite taille de l’entreprise, j’ai pu toucher à tout durant mes années dans cette organisation : ventes, gestion du personnel, relations gouvernementales, marketing, accès au marché. Et comme les médicaments que nous vendions coûtaient beaucoup plus chers que la compétition, il a fallu innover pour délier les cordons de la bourse des assureurs et payeurs publics.
C’est comme ça que durant cette période, j’aurai à me frotter à la bureaucratie du système de soins de santé au Canada, au « conseil consultatif de pharmacologie », l’ancêtre de l’INESSS et aux pharmaciens-fonctionnaires qui approuvent ou rejettent les médicaments remboursés par l’État. Des batailles épiques pour moi, qui ont ponctué ces belles années. Comme cette lettre que j’avais rédigée et fait parvenir à Québec Pharmacie pour rectifier les faits erronés qui y avaient été rapportés par un cardiologue sur mon produit-vedette, le t-PA. Commercialisé sous le nom d’Activase, on utilisait cet agent pour dissoudre les caillots dans les artères des personnes présentant un infarctus du myocarde ou pour traiter les embolies cérébrales. Après deux demandes de ma part et plus d’un an après la parution de l’aricle, l’éditrice en chef de la revue avait finalement publié ma lettre.
Mais ce qui restera gravé pour toujours dans ma mémoire, c’est la bataille qu’il m’a fallu livrer contre le ministre de la Santé de l’époque pour faire approuver le Pulmozyme. Ce produit avait été découvert par Steve Shak, un pneumologue à l’emploi de Genentech. Ses recherches l’avaient amené à se pencher sur une enzyme sécrétée par le pancréas des vaches qui était particulièrement efficace à dissoudre le mucus. Comme le mucus épais des personnes atteintes de fibrose kystique était un des problèmes causés par la maladie, il a poussé ses travaux jusqu’à l’autorisation puis la commercialisation du produit. J’avais invité Steve à donner une conférence à Montréal. Une soie d’homme, humble et drôle.
J’ai fait tout ce que j’ai pu pour essayer de convaincre la RAMQ de rembourser ce médicament mais sans succès. J’ai même obtenu de Genentech une garantie que la compagnie rembourserait le gouvernement si le produit ne permettait pas d’atteindre une amélioration significative (10%) de la fonction pulmonaire afin de pouvoir utiliser les deniers publics de la meilleure façon. J’étais d’autant plus frustré, à ce moment là de voir que la RAMQ continuait d’approuver des nouveaux antihypertenseurs, des nouveaux antidépresseurs, des nouveaux inhibiteurs de la pompe à proton qui n’avaient somme toute démontrés qu’une chose, une chose seulement…qu’ils étaient supérieurs au placebo… Avec des avantages insignifiants du point de vue clinique par rapport aux produits de la même classe, sauf peut-être d’être plus dispendieux.
C’est à ce moment là que j’ai commencé à faire du bénévolat à l’Association Québécoise de la Fibrose kystique en participant aux comités organisateurs de leur concert-bénéfice annuel. J’y ai rencontré des êtres humains courageux, fiers et combattants. Marie-Hélène, Valérie, Aline et Éric le photographe m’ont aidé à trouver la force de me battre contre l’inertie, les lobbys et l’incurie gouvernementale. Plus tard Aline et Éric ont fait des stages dans mon entreprise. Marie-Hélène, Éric et Valérie sont partis, emportés par cette terrible maladie.
C’est avec le Comité des adultes atteints de fibrose kystique que j’ai travaillé. Avec leur accord, et l’aide des pneumologues convaincus de l’utilité du produit, Genentech a fourni le Pulmozyme gratuitement à trente personnes durant six mois. Ce traitement a changé la vie de plusieurs et ils ont tous écrit une lettre personnelle au ministre pour leur faire part de ce que le médicament avait eu comme effet pour eux. « Je dormais avec six oreillers, maintenant je dors avec un », « J’avais arrêté de faire du ski il y a six ans et j’ai recommencé cet hiver » « Normalement je suis hospitalisé à tous les mois, et ça fait quatre mois que je n’y suis pas allé »
Le ministre m’a accusé d’avoir soudoyé les patients adultes atteints de fibrose kystique mais au final, il a dû reconnaître que ce produit avait sa place. La première fois que j’ai servi du Pulmozyme à une cliente en pharmacie et que j’ai réalisé que sa facture était à zéro parce qu’il était entièrement remboursé par la RAMQ. j’ai littéralement pleuré. Me remémorer toute cette histoire m’avait rendu très émotif.
Les années entre 1986 et 1995 ont été très effervescentes en médecine, particulièrement en cardiologie. J’assisterai aux guerres entre les fibrinolytiques et je serai aux premières loges lorsque les études GISSI, ISIS et GUSTO seront présentées en public pour la première fois. À Atlanta, au Centre des Congrès, j’étais assis par terre tellement il y avait du monde pour les présentations de ISIS-2 . C’est là qu’on nous expliquera les effets incroyables de l’Aspirine sur la diminution de la mortalité chez les personnes victimes d’un infarctus. On avait l’impression d’assister à un chapitre crucial dans l’histoire de la cardiologie contemporaine. Je serai aussi à la présentation du quarantième anniversaire de l’American Association of Cardiology où on présentait les 40 études qui avaient marqués cette spécialité. L’étude du Dr Pierre Théroux sur l’héparine y figurait. Tout seul sur mon banc, je n’avais personne à côté de moi à qui exprimer à quel point j’étais fier de connaître Pierre Théroux, ce géant de la cardiologie mondiale, qui sera un grand supporteur de mes projets lorsque je quitterai Genentech.
Mes années passées chez Genentech m’ont permis de rencontrer les plus grands leaders du monde de la cardiologie et de la médecine. Les Eugene Braunwald, Peter Sleight, Richard Peto, Gabriel Steg, Chris Cannon, Peter Libby, David Holmes, Bob Harrington, Salim Yusuf, John Cairns, David Naylor. Mais deux en particulier auront marqué les années qui suivront : Eric Topol et Robert Califf.
Ces deux médecins qui ont fait leur médecine à San Francisco, ensemble, sont devenus meilleurs amis. Ils se parlaient tous les jours (rappelez-vous, c’était avant l’Internet, les Facetime, etc…) même si Eric était le chef de la cardiologie de la Cleveland Clinic et Rob, Directeur du DCRI (Duke Clinical Research Institute) en Caroline du Nord. Je me suis lié d’amitié avec les deux, et cette amitié a marqué et continuera à marquer ma vie d’entrepreneur.
En 1995, Genentech est acheté par Hoffman-La Roche, le géant pharmaceutique suisse. Je viens tout juste de recruter Éric Beaudoin comme représentant au moment où l’annonce est faite. Éric me dit qu’il a une idée et qu’il aimerait fonder une compagnie avec moi. 1995, c’est l’année où on commence à parler d’Internet. Il n’y a que des images qui défilent plus ou moins rapidement selon votre modem de l’époque. Éric me dit qu’un jour, il y aura de l’audio et qu’on sera capable de diffuser des programmes de formation médicale continue. La formation médicale continue à l’époque est une affaire qui génère des milliards de dollards de revenus et dont l’industrie pharmaceutique ne peut se passer.
Mais avant de parler de cet épisode, je dois mentionner mon aventure cubaine… Un de mes amis me dit qu’il a un ami à Montréal qui connaît le frère de Fidel Castro, Raúl. Et il me raconte qu’il y a à Cuba des installations de fabrication de médicaments à partir de la recombinaison génétique. Mon ami Greg, un ami cardiologue et moi décidons donc de créer une entreprise, SMG Pharma et nous nous envolons pour Cuba! À la Havane, nous rencontrons le Dr Manuel Limonta du «Cuban Center for Genetic Engineering and Biotechnology (CIGB)» et la Dre Herrandez de Dalmez Laboratorio. Nous réussissons même à convaincre Dalmer d’utiliser nos services pour commercialiser le policosanol au Canada. Le policosanol est un produit dérivé de la canne à sucre qui aurait la propriété d’abaisser le cholestérol. Et comme effet secondaire, d’augmenter la libido. Sur la rue à la Havane, il était connu sous le nom de «PPHÉ». «5 mg no, 10 mg Si» nous avait dit notre chauffeur de taxi 🙂
L’aventure aura été de courte durée. En rentrant de notre deuxième voyage, je reçois un appel de Yorkton Medical. La personne au téléphone me dit qu’il avait eu vent de nos démarches. Il m’explique que les gens de Yorkton s’étaient déjà rendus à Cuba et que leur émissaire n’était nul autre que Pierre-Elliott Trudeau. Pierre-Eliott Trudeau a été le premier leader d’un pays démocratique à se rendre à Cuba rencontrer Fidel!
Au même moment, mes anciens employeurs, propriétaires de pharmacies sur la Rive-Sud me contactent pour me dire qu’une des pharmacies est à vendre et qu’ils sont intéressés à ce que je devienne partenaire avec eux. Puis jamais deux sans trois, je découvre que le Dr Pavel Hamet, de l’Hôtel-Dieu ,veut créer la première clinique de thérapie génique au Canada. Je dois donc décider si je deviendrai pharmacien-propriétaire, président d’une clinique de thérapie génique ou co-fondateur d’une entreprise de formation médicale continue en ligne.
Commençons par l’histoire de la thérapie génique; Je tente donc de joindre le Dr Hamet pour lui présenter ma candidature. Je crois, naïvement, que mes années comme directeur des ventes dans une entreprise de recombinaison génétique suffisent pour me qualifier pour ce poste. Mais sa secrétaire, France, ne me connaît pas et me dit que le Dr Hamet est très occupé. Le lendemain, je lis dans le journal que le CA de l’Hôtel-Dieu a entériné le projet et que le président du CA est Marc Lalonde, l’ancien ministre libéral à Ottawa. Par un de ces moments que j’adore, je me rappelle que deux ans auparavant, sur un vol qui me ramène de San Francisco, je m’étais présenté à M. Lalonde et qu’il m’avait invité à m’asseoir avec lui sur le vol de Toronto-Montréal. Je l’appelle donc chez Stikeman Elliott, la firme d’avocat où il travaille et je lui demande s’il se rappelle de moi et s’il peut m’aider à rencontrer le Dr Hamet. Il me dit, sérieusement, que non seulement il se souvient de moi, mais qu’il a donné ma carte d’affaires aux gens du Parti Libéral… Enfin, il me suggère d’appeler l’adjointe du Dr Hamet et de lui dire que c’est Me Lalonde qui m’envoit.
Je rencontre le Dr Hamet, qui est le Directeur du Centre de Recherche de l’Hôtel-Dieu et qui accepte de travailler avec moi à une condition : Dans deux semaines, l’Hôtel-Dieu sera fusionné pour la création du nouveau CHUM. Il y a deux millions de dollars qui représentent les intérêts des subventions à la recherche qui se fondront dans le grand CHUM. À moins que nous ne rédigions un plan d’affaires qui servira à créer Curagène et ainsi protéger ces fonds. Je me mets au travail et un document d’une soixantaine de pages servira à convaincre le CA de l’Hôtel-Dieu du bien-fondé de la démarche.
Pendant ce temps-là, les pharmaciens de la Rive-Sud ont préparé le contrat de vente de la pharmacie et nous nous rencontrons dans un hôtel de la Rive-Sud pour discuter de la transaction. La veille, j’étais allé dans la pharmacie et j’y avais rencontré le propriétaire en train d’étiqueter des boîtes de thon. Ce qui m’avait un peu refroidi. Acheter cette pharmacie voulait dire travailler comme un forcené pendant cinq ans, vendre des cigarettes, du Coke, puis avoir un avenir financier assuré et, qui sait, faire quelque chose d’autre…
À l’hôtel, je suis allé dans une cabine téléphonique et j’ai appelé Eric Topol. Je lui explique mon dilemme. Trois projets; thérapie génique, CEO d’une compagnie Internet ou propriétaire de pharmacie. Je me rappellerai toujours ses mots : « L’Internet c’est le futur. Oublie la pharmacie. Crée la compagnie, et je vais vous aider toi et Éric à en faire un succès ». C’est comme ça que Conceptis Technologies Inc. est née.
Cette idée d’Éric est devenue les « Cybersessions médicales ». Nous avons réussi grâce au talent de Sean Mollitt, Mike Pawloski et Thom Bennett à créer le logiciel qui a permis de diffuser le premier programme d’éducation médical sur Internet. Avec la diapo qui défilait, la voix du ou des conférenciers et un engin «chat» au bas de l’écran qui permettait de poser des questions en temps réel. L’ancêtre du Zoom! Nous levons un premier $250,000 pour développer notre MVP et Eric Topol décide de l’utiliser dans ce qui sera la première conférence médicale virtuelle au monde! Chaque année, il organisait le « Restenosis Summit » à Cleveland où 500 à 1000 spécialistes se rencontraient. Il décide de changer le nom de la conférence et de l’appeler « The First Restenosis Cybersummit » et de la diffuser en utilisant notre produit. Pour notre entreprise, ce moment est déterminant parce que nos investisseurs jugeront de notre viabilité en fonction de notre performance. Un des conférenciers, le Dr David Holmes de Mayo Clinic sera à Vienne durant l’événement et je décide de me rendre là-bas une semaine avant le Sommet pour vérifier qu’il pourra se brancher dans la chambre qu’il occupera.
La veille de cette conférence, je suis allé à Cleveland et j’ai dormi chez Eric Topol. Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit et quand il est venu dans ma chambre pour me réveiller à 4h30 j’étais déjà debout. Assis à côté de lui dans son bureau à 10h00 pile, je me souviendrai toujours de ses mots : « Well hello everyone, this is Eric Topol from The Cleveland Clinic…Welcome to the First Restenosis Cybersummit ». Au début, il y a un peu d’écho et je pense m’évanouir, puis, le son devient clair comme du cristal. Frédéric Salter, Erik Schiller, Sean Mollitt, Mike Pawlowski, à Montréal, ont réussi! Les choses ne seront plus jamais pareilles. Quelques mois plus tard, Éric B, Erik et Sean seront au Milia à Cannes, la Foire Internationale du Multimédia où nous avons inscrit Les Cybersessions Médicales à la compétition. Nous remportons le prix de la meilleure utilisation de l’interactivité en temps réel et le prix du Grand Jury. Devant CNN, Disney Interactive et Sony.
L’idée de génie d’Éric Beaudoin: «Ce deuxième Milia d’Or, l’entreprise l’a décroché alors qu’elle était en compétition avec les finalistes de toutes les catégories représentées à Cannes. Le public et le jury ont préféré la CyberSessions de Conceptis aux sites interactifs notamment de CNN News, d’Allo. Ciné-France ou de Red Planet de Grande-Bretagne. Il s’agit pourtant d’un site spécialisé qui s’adresse avant tout aux professionnels de la santé et de l’industrie pharmaceutique mais dont on a reconnu la simplicité et l’originalité d’approche en même temps que ses grandes qualités innovatrices en temps réels.«
Une réception en notre honneur est organisée à la Délégation Générale du Québec à Paris. Quelques temps après, notre collaboration avec Alain Vadeboncoeur pour son site Urgenet nous fera gagner l’Octas pour la meilleure utilisation du français dans les technologies de l’information. Ces deux prix me vaudront une lettre de Bernard Landry, alors Vice-Premier ministre du Québec et une invitation du ministre délégué à l’Autoroute de l’information à faire partie d’un Forum d’experts.
Dans sa lettre, M. Landry me dit que j’ai démontré «qu’on peut être prophète en son pays». Or il n’aura pas eu raison là-dessus. Bien que nous soyons devenus la coqueluche du monde du multimédia, nous ne réussirons à convaincre aucun fonds d’investissement institutionnel du Québec à croire à notre aventure. Sauf à la toute fin. Un des analystes de la CDPQ me dit que son beau-frère est rhumatologue à Rimouski et que d’après lui les médecins n’iront jamais sur Internet! Je me rendrai aux Émirats Arabes Unis dans une mission commerciale de Bernard Landry pour pouvoir y rencontrer Claude Blanchet, le dirigeant de la SGF. Sans résultat. La même année pourtant la SGF mettra $12.0 millions dans Métaforia (que j’appelle Metafoira) qui fermera un an plus tard. J’ai d’ailleurs fait parvenir une lettre de sept pages à la SGF pour leur exprimer ma déception. C’est sans parler de la «mafia québécoise» de l’investissement de l’époque.
Les Cybersessions médicales, c’était génial. Mais pour informer les médecins de venir assister à une conférence sur Internet en 1999, il fallait imprimer une invitation et l’envoyer par la poste! C’est de là que m’est venu l’idée de créer theheart.org, un portail spécialisé où les cardiologues viendraient régulièrement et où nous pourrions faire la promotion de nos programmes de formation continue. Je vais donc convaincre Eric Topol de prendre la direction éditoriale de theheart.org, et avec une équipe de journalistes hors du commun, je lancerai le premier portail d’information et d’éducation de Conceptis qu’on a appelé theheart.org. Je me souviens de cette rencontre avec Eric, assis au bord de la piscine du Peabody Hotel de Orlando. Quand je lui ai parlé de mon idée, il m’a dit « You’re crazy, this is way too big ». S’en est suivi dix années de création, d’exaltation et de collaboration avec une équipe de plus de 100 personnes qui ont fait de Conceptis Technologies un endroit unique et une école extraordinaire pour ceux et celles qui y ont œuvré.
Après theheart.org, nous avons lancé thekidney.org et jointandbone.org, nos portails de néphrologie et rhumatologie. Ma vision était de produire les dix spécialités médicales les plus importantes en utilisant le logiciel que notre équipe avait développé.
À cette époque, les outils disponibles pour créer du contenu étaient plutôt rares, et il a fallu que nous bricolions nous-mêmes le logiciel qui permettrait à mes journalistes de publier leurs articles sur Internet à partir à partir de Microsoft Word. Grâce au génie de Rudy Jachan et de son équipe, nous avons non seulement réussi mais le résultat était si spectaculaire que la compagnie Baxter a acheté notre engin de création et gestion de site web pour un million de dollars.
Comme j’étais l’éditeur de theheart.org et jointandbone.org, j’ai été aux premières loges du retrait du marché de l’antiinflammatoire Vioxx par Merck en septembre 2004. Avant ce retrait, Eric Topol avait tenté de convaincre le fabricant d’effectuer les études qui permettraient d’identifier les personnes à risque de développer des complications cardio-vasculaires suite à la prise de cet anti-inflammatoire. Sans succès. S’en est suivi quelque chose d’assez extraordinaire en médecine. En effet, sur theheart.org, les cardiologues étaient tous d’accord sur les raisons de ce retrait alors que sur jointandbone.org, les rhumatologues étaient furieux de voir qu’à cause des cardiologues, leurs patients se voyaient privés du plus efficace des coxibs. L’équipe de l’émission Découverte de Radio-Canada ira filmer à Cleveland et dans mes bureaux de Montréal et diffusera une émission spéciale d’une heure sur le sujet.
Entre 1995 et 2005 donc, c’est par la bande que je continue de suivre ce qui se passe en pharmacie. Bien que je ne pratique pas, je continue à payer ma cotisation à l’Ordre et j’assiste à quelques congrès de formation continue. Je me souviendrai toujours d’une de ces formations ou j’avais rencontré un ami du C.E.G.E.P, devenu pharmacien et qui était président de l’Ordre. Je lui avais lancé qu’un jour les ordonnances manuscrites deviendraient numériques. Il m’avait dit avec le plus grand sérieux que ça n’arriverait jamais… Il a failli avoir raison…
Durant cette période, j’ai offert à l’Ordre des Pharmaciens d’utiliser notre plateforme d’éducation médicale pour diffuser ses programmes de formation. Mais il faudra plusieurs années avant que l’Ordre se mette à l’Internet. La raison qu’on invoquait était que plusieurs pharmaciens n’utilisaient pas Internet et que donc, ce serait discriminatoire d’utiliser une plate-forme numérique.
Plusieurs sujets retiendront mon attention durant ma période Conceptis dont le manque de respect de l’industrie du multimédia et l’aide gouvernementale du gouvernement à cette industrie.
Avant de créer theheart.org, j’avais approché l’American Heart Association (AHA) et l’American College of Cardiology (ACC) pour leur demander d’être nos partenaires dans cette aventure. J’ai fait pratiquement rire de moi aux deux endroits. Qui étais-je, moi le petit gars d’Alma, pour venir cogner aux portes des deux plus grandes associations américaines dans le domaine? Quatre ans plus tard, durant un des congrès de la European Society of Cardiology, c’est dans un chic hôtel de Stockholm que la CEO de l’ACC offrira d’acheter theheart.org pour la somme de 13 millions. Je refuserai.
Le travail exceptionnel de mes journalistes du tout début, les Sue Hughes, Lisa Nainggolan, Zosia Chustecka, Susan Jeffrey, Shelley Wood et Larry Husten a contribué à faire de ce site la destination privilégiée des cardiologues de la planète. La crédibilité d’Eric Topol et Rob Califf faisait le reste. J’ai même réussi à convaincre Richard Horton, l’éditeur-en-chef de The Lancet de créer la série de programmes « The Lancet – theheart.org present », un tour de force inoui. Qui a été torpillé par la haute direction de Elsevier, le plus important groupe de presse médicale au monde et propriétaire de The Lancet. Je peux dire que ma rencontre avec Richard Horton m’a rendu presque ivre de fierté. Moi, Roger Simard, fils de Germain, premier de ma gang à aller à l’Université, était assis dans les bureaux de The Lancet, la revue médicale la plus prestigieuse sur la planète. Je n’en revenais pas.
Nous avons lancé theheart.org au congrès de l’American Heart Association à Atlanta en 1999. Un lancement qui aura coûté 1.5 millions de dollars. Notre stand était l’oeuvre de Alain Desgagné et faisait l’envie de tous les exposants.
2005
Déjà à la fin de 2004, il devient clair que les membres du conseil d’administration de Conceptis désirent vendre l’entreprise. Comme je ne veux pas accepter n’importe quelle offre, j’entame des discussions avec le Fonds de Solidarité de la FTQ pour évaluer la possibilité qu’ils investissent et me permettent de continuer à réaliser ma vision. Après plusieurs mois de travail, nous reçevons une offre: $7.5 millions à une condition: que mon équipe de gestion se soumette à trois jours d’évaluation par un psychologue industriel. Le Fonds veut savoir à quelle étape du «forming – storming – norming – performing» nous en sommes. Sommes-nous en mesure de faire passer notre chiffre d’affaire de $20.0 millions à $100 millions? À ce moment, ma vision est de répliquer theheart.org dans les dix plus importantes spécialités médicales, puis de paramétriser le contenu et l’adapter pour l’omnipraticien et le patient. Finalement ajouter tous les autres spécialités (infirmières, pharmaciens, etc).
Nous obtenons une très bonne notre du psychologue mais au final, le conseil la refuse. Conceptis est vendue à WebMd, les propriétaires de Medscape. Bien qu’ils promettent de développer les autres portails, il devient très clair et très rapidement que leur but était de mettre la main sur theheart.org et de fermer les deux autres portails pour éviter qu’ils ne cannibalisent Medscape, leur site d’information et d’éducation médicale. Cette entreprise que nous avions bâtie, Éric et moi, avec plus de 142 employés à son zénith, un bureau à New York au New Jersey et des journalistes à Paris, New York, Toronto et Vancouver s’est en allée comme ça, à New York. Quand nous nous rencontrons, Éric et moi, on se remmémore avec beaucoup d’émotions ce moment de notre vie où nous avons pu laisser notre passion et créativité s’exprimer sans brides.
Je quitterai donc WebMd. Un article de Larry Husten, mon chef de pupitre, décrit l’esprit qui y a régné après mon départ. Je décide alors de revenir à la pharmacie et de participer à un autre défi. Après avoir catalysé la transformation numérique de l’éducation et de l’information médicale, pourquoi ne pas tenter la même chose dans le monde blanc et stérile de mon ancienne profession de pharmacien? J’habite à deux pas du vieux village de Pointe-Claire et j’y vois une belle occasion d’ouvrir une pharmacie de quartier.
Pour reprendre mon permis, je dois faire un stage de huit cent heures en pharmacie communautaire et refaire une année complète d’université avec les étudiants de troisième du programme de pharmacie de l’Université de Montréal. J’y ai vécu quelque chose d’assez singulier. Durant mon année d’université, je devais faire partie d’une équipe de quatre étudiants travaillant sur des travaux à remettre. À ma grande surprise, et je dois l’avouer, avec tristesse, aucune des équipes à qui j’ai demandé de m’accueillir n’a accepté de travailler avec moi. J’ai donc fait tous ces travaux en solo. Et ce que j’ai trouvé particulièrement difficile, c’est qu’après en avoir parlé avec la directrice du programme, après deux interventions de sa part, rien n’y a fait. C’est ainsi que j’ai commencé à me préparer à ce que serait l’âgisme…
Cette année d’université n’a pas été que moche par contre. Un des cours que j’ai dû suivre s’intitulait : « Soins pharmaceutiques ». Et je réalise que les notes de cours sont tirés d’un livre écrit par Linda Strand, la « mère » de l’approche des soins pharmaceutiques. En googlant son nom, je me rends compte qu’en plus de son poste d’enseignante à l’Université du Minnesota, elle fait partie d’un groupe qui a développé un logiciel qui est vendu sous le nom d’Assurance. Oui, je m’imagine déjà en train de commercialiser le logiciel au Canada.
J’écris donc à Mme Strand et je me rends à St. Paul pour la rencontrer elle et son équipe. Après quelques mois de négociations, j’achèterai une licence d’utilisation tout en continuant à explorer le potentiel de collaboration pour la commercialisation au Canada.
Pointe-Claire
En septembre 2007, j’ouvre ma petite pharmacie Familiprix dans le village. Avec ma collègue et associée, Nathalie Turgeon. Elle, qui m’avait dit non au début a finalement accepté de participer à l’aventure à condition que nous puissions offrir une pratique axée sur les soins pharmaceutiques tels qu’imaginés par Linda Strand elle-même.
Avant même d’ouvrir notre pharmacie, Nathalie et moi avons signé un contrat avec deux résidences spécialisées du groupe Sunrise. Sunrise, c’est ce groupe américain qui possède plus de 400 résidences au sud de la frontière. Le groupe a décidé de privilégier notre future pharmacie pour deux raisons; notre approche basée sur les soins pharmaceutiques et notre promesse que nous n’utiliserions pas de piluliers en plastique mais plutôt des sachets pour l’emballage des médicaments. Ce qui supposait que nous achèterions une Pacmed, un appareil de $250,000 qui permet une plus grande précision et un risque d’erreur moins grand pour le personnel.
Durant les deux premières années d’opération, Nathalie et moi avons ajouté deux autres résidences parmi nos clients et nous avons intégré le logiciel de Linda Strand à nos opérations. Sébastien, un étudiant à la maîtrise en pharmacie s’est joint à notre équipe et c’est comme ça que nous avons pu utiliser le logiciel pour offrir, une première au Canada, une pratique axée sur les soins pharmaceutiques où les données étaient colligées dans une base de données sécurisée.
Il m’est apparu assez évident, très rapidement, que l’utilisation d’Assurance et de notre logiciel d’officine présentait un problème d’interopérabilité et nous imposait la double entrée de données avec le logiciel d’officine. Ce sera à ce moment, pour la première fois, que je serai confronté à la difficulté de « faire parler » deux logiciels dans notre système de soins de santé. Une rencontre avec Telus, le fabricant de Assyst Rx , me confirme que ce ne sera pas possible. Nous devrons donc nous résigner, comme tous les autres d’ailleurs, qui ont créé ou implanté des solutions numériques en pharmacie durant les quarante dernières années à faire cette double entrée. Une perte de temps, un risque d’erreur accru. Une absurdité qui persiste encore aujourd’hui, au moment d’écrire ces lignes.
Nous avons réussi, Nathalie et moi, à intéresser l’Université de Montréal et à obtenir la collaboration d’une étudiante en pharmacie pour traduire le logiciel de Linda Strand. Un logiciel bilingue serait évidemment nécessaire si on espérait le commercialiser au Québec. Les choses vont donc bon train et Sébastien et Nathalie préparent le manuscrit qu’ils vont soumettre pour publication.
Pour pouvoir continuer à ajouter des résidences de personnes âgées à notre clientèle, je prépare des présentations pour les propriétaires de ces résidences. C’est à ce moment que je me rends compte du « système des enveloppes brunes » et des petites faveurs en échange de notre offre de service. Moi, naif, je pense que si j’offre des soins pharmaceutiques, qui permettent d’optimiser la prise du médicament, réduit le nombre d’hospitalisation, ou améliore la qualité de vie, je vais pouvoir faire affaire avec eux. On me demande plutôt de payer le voyage en Grèce annuel, le salaire de l’infirmière ou du médecin de la résidence. Parce que, voyez-vous, mes collègues le font, alors…
Durant cette période, je dois rencontrer l’infirmière responsable du groupe qui possède 42 résidences sur le territoire québécois. Mais elle annule notre rendez-vous. J’apprends plus tard, qu’en fait, le Directeur des Services professionnels de ma propre bannière lui a dit que je n’étais pas « aligné » avec ma bannière parce que ma pharmacie « faisait » des sachets plutôt que des piluliers, comme la centrale qu’il a créé le fait. Après que je me sois plaint au CEO du groupe, celui-ci me demande de développer « la stratégie des résidences de la bannière. » Je participerai donc à une réunion avec l’infirmière du groupe de résidences, le personnel du bureau-chef de ma bannière et nous élaborerons les premiers jalons de cette stratégie.
À ma grande surprise, c’est l’infirmière du groupe de résidences qui me contactera trois semaines plus tard pour me demander pourquoi elle avait reçu un document portant la mention « Confidentiel » sans que mon nom y soit… et qui reprenait l’essentiel de nos discussions. Un coup de jarnac de ma propre bannière.
Mais le pire épisode de cette période a commencé avec l’appel que j’ai reçu d’un pharmacien d’une succursale de grande chaîne de Laval, un matin alors que j’étais en service. Celui-ci me demande de transférer tous les patients de la résidence où nous avons offert des soins pharmaceutiques durant la dernière année. Et il a la brillante idée de me dire que c’est une décision du siège social en Ontario! En fait, la résidence en question fait partie d’un groupe qui en possède huit au Canada et ils ont conclu une entente avec la chaîne de pharmacie et un fabricant de produits génériques! Le tout se fait dans un manque d’éthique flagrant où des personnes avec déficience cognitive signent le formulaire de consentement et certains des membres de la famille ne sont pas avertis du changement de pharmacie.
Mon sang bouille. Nous sommes la première et la seule pharmacie au Canada à offrir un service qui est supérieur aux exigences mêmes de l’Ordre des pharmaciens du Québec et on nous vole ni plus ni moins les clients que nous servons depuis un an. Je rencontre le Directeur de la résidence et lui montre les cartables de dossiers de soins pharmaceutiques mais rien n’y fait. Il est désolé, mais la décision a été prise à l’extérieur de la province. Nathalie et Sébastien publieront un article dans la Revue des Pharmaciens du Canada sur le service que nous avons offert à cette résidence.
Je téléphone à l’Ordre des pharmaciens du Québec et à l’Association des pharmaciens propriétaires. Ni l’un ni l’autre ne peuvent nous aider. Les deux me demandent s’il y a un contrat qui confirme ce que je dis… Un contrat!
Je vais même rencontrer les gens de l’émission Enquête qui sont intéressés par la question des pots-de-vin en résidence mais ils me demandent de rencontrer les propriétaires de résidences avec une caméra cachée… J’étais frustré et choqué mais pas au point de me transformer en journaliste d’enquête. Ce ne sera pas la dernière fois que je serai confronté aux pratiques de l’industrie et du monde de la pharmacie et du frein qu’elles représentent pour l’innovation.
Mon idée, avec le logiciel de Soins pharmaceutiques était de reproduire l’étude américaine de Linda Strand qui avait démontré que cette approche pouvait réduire le coûts d’utilisation des soins de santé de $12,000 par année par personne. J’enverrai ma présentation Powerpoint aux dirigeants de l’AQPP pour qu’ils considèrent cette proposition. Car si nous démontrons la même chose, nous pourrons négocier et exiger un honoraire décent pour la prise en charge des personnes aux prises avec plusieurs problèmes de santé et qui prennent plus de six médicaments différents par jour.
Je vais rencontrer les fabricants de médicaments génériques. Les Sandoz, Teva, Pharmascience, Apotex et leur expliquer que l’ère des ristournes à 50% tire à sa fin. Qu’ils peuvent investir dans une étude clinique non biaisée pour démontrer la valeur du pharmacien. Zéro intérêt! Quant à l’AQPP, ils ne m’ont jamais rappelé. Jusqu’au changement de président…
L’épicerie du village de Pointe-Claire
Au moment où ces événements surviennent, il s’en produit un autre qui aura un gros impact sur ma carrière de pharmacien et sur les événements futurs. Dans le village de Pointe-Claire, où se trouve ma pharmacie, il y a une épicerie depuis 1750. Celle qui s’y trouve à ce moment ferme ses portes. Pour mes clients, dont une grande partie sont âgés, c’est la catastrophe. À tous les jours, je les écoute me décrire ce que ça signifie pour eux, certains pleurent, d’autres pensent déménager. Après avoir vu le reportage dans The Gazette où on voit Mado, une cliente de 89 ans penchée devant des étagères vides et avoir écouté M Dagenais, l’ancien tavernier du village me demander qui se lèvera pour le village, je décide de rouvrir l’épicerie.
Pendant un an, je travaillerai d’arrache-pied pour rénover l’édifice, trouver un partenaire et obtenir un contrat d’approvisionnement avec Sobey’s afin de redonner une épicerie au village. En plus de faire peindre une murale géante sur le mur externe du bâtiment représentant les 300 ans d’histoire du village. Facture totale: $1.2 millions.
L’aventure ne durera que quatre mois. Pour deux raisons principales. J’ai surestimé ma popularité de pharmacien du village et son impact sur l’achalandage et mon incapacité à recruter une équipe gagnante comme je l’avais fait dans Conceptis et ma pharmacie.
C’est donc déçu que je vendrai ma participation dans ma pharmacie pour payer cette frasque (et la fresque!) et que je deviendrai un employé dans la pharmacie que j’ai co-fondée. J’ai adoré mon expérience de pharmacien dans mon petit village de Pointe-Claire. J’y ai rencontré des personnes formidables qui m’ont profondément touché: M. West, M. Raymond, M. Clermont, M Dagenais et Mado, Monic, May et Nedia, Nathalie, toute l’équipe du restaurant le Gourmand, Jean-Gilles mon livreur, Alain, Terry, Bill, André et Gordon m’ont inspiré de courtes vignettes que j’ai publiés à l’époque où j’utilisais Facebook.
Pharmacie 3.0
Peu de temps après cette aventure, un pharmacien de l’ouest de l’île me contacte pour me parler de son projet d’ouvrir une pharmacie à Lachine tout juste à côté d’une résidence pour personne âgée. Il connaissait mes réalisations antérieures en technologie et voulait que je devienne son partenaire. Je terminais alors la lecture du premier livre de Eric Topol, « The creative destruction of medicine » dans lequel il décrivait comment le téléphone intelligent, les objets de santé connectée et la puissance de l’infonuagique allaient révolutionner la médecine. Je prends un vol pour San Diego et rend visite à Eric Topol. Je lui décrit comment je pourrais opérationnaliser les concepts présentés dans son ouvrage en les combinant à l’approche des soins pharmaceutiques et de la pharmacogénomique.
Et c’est comme ça que naît Pharmacie 3.0! Une entreprise qui allait opérer sur trois axes et qui me permettrait, encore une fois, de travailler avec Eric Topol. Je décide de me concentrer, en premier, sur la santé connectée. Je me mets à la recherche des solutions qui me permettront de devenir le premier pharmacien au monde à effectuer le suivi à distance en pharmacie. Je négocie une entente avec Tactio pour l’utilisation de leur tableau de bord électronique, Roche Diagnostiques pour le glucomètre, Glooko pour la technologie Bluetooth, Garmin pour les bracelets connectés et A&D pour les balances et tensiomètres. Uniprix accepte de payer pour le projet-pilote et je débute cette aventure. Le projet S.M.A.R.T. (Suivi de la Médication par Application mobile Reliée à un Tableau de bord) consiste à suivre une cohorte de personnes âgées de 65 à 89 ans à l’aide d’une tablette et des objets de santé connectée. Le projet attire l’attention de l’équipe de Découverte de Radio-Canada qui diffuse un reportage sur le sujet. Il m’aide aussi à convaincre la direction d’Uniprix d’étendre l’initiative à 15 pharmacies de son réseau. Cette initiative n’aurait pas été possible chez Uniprix sans la vision de Charles Milliard et le support indéfectible de Amélie Paquette.
Les propriétaires de résidences sont si impressionnés par le reportage de Découverte que plusieurs me contactent pour me demander d’aider les pharmaciens de leurs résidences à offrir le programme de Pharmacie 3.0. Malheureusement, lorsque je les visite, les pharmaciens m’expliquent qu’ils ne peuvent investir les $35,000 requis pour Pharmacie 3.0, en plus de payer pour le dépanneur qu’ils doivent ouvrir dans les résidences avec lesquelles ils font affaire. Pour la deuxième fois donc, je me retrouve à compétitionner avec une pratique des pharmaciens qui n’ajoute aucune valeur à la santé des résidents. Le plus frustrant, c’est que pendant l’été, j’ai été consulté par le président de l’Ordre des pharmaciens sur ce que je pensais qu’on devait encadrer avec les regroupements de résidences et j’avais nommé, LE DÉPANNEUR! Je m’en étais ouvert au journaliste du JdeM, ce qui m’a valu d’être déclaré persona non grata dans ces résidences.
Pendant les trois années qu’a duré Pharmacie 3.0, j’ai donné de nombreuses conférences, publiés des articles et concocté quelques projets de santé numérique dont le dépistage de la fibrillation auriculaire. Eric Topol m’avait mis en contact avec le Dr Dave Albert, le co-fondateur de AliveCor et idéateur du Kardia, ce dispositif qui permet d’effectuer un électrocardiogramme en posant deux doigts sur une plaquette durant 30 secondes. Je me souviens de l’avoir montré au Dr Théroux et d’avoir proposé aux gens de l’Institut d’effectuer un dépistage de FA en pharmacie. Leur réponse m’avait bouleversé. « Vous voyez M. Simard, vous, vous allez détecter la FA en pharmacie, le médecin de famille ne voudra pas la gérer et on nous référera les patients quand on est déjà débordé. Alors, on préfère ne pas le savoir. » Je n’en suis pas resté là.J’ai finalement trouvé une cardiologue qui a accepté de participer au projet. Pendant mes démarches, j’ai tenté sans succès de convaincre l’Ordre des Pharmaciens de changer leur énoncé de politique concernant le dépistage des arythmies en pharmacie qui datait de 2007. Dans cet énoncé, on déconseillait ce genre d’initiatives bien que plusieurs études publiées avaient démontré les bienfaits de cette approche chez une population ciblée. Plus tard, Apple présentera les résultats de sa propre étude avec la AppleWatch au congrès de l’American College of Cardiology. J’étais, selon les dires du président de l’Ordre, «dix ans en avance…»
Durant cette période, j’accueillerai des étudiants de quatrième en pharmacie pour leur stage. Je leur suggère d’évaluer l’utilité des capteurs d’activité physique pour évaluer les variations de la fréquence cardiaque. À leur grande surprise, ils documenteront un épisode de fibrillation auriculaire chez un des participants à mon projet à l’aide d’un simple bracelet pisteur d’activité.
J’entreprends des discussions avec le doyen de l’École de pharmacie de l’Université Laval, Jean Lefebvre, pour créer une application mobile de soins pharmaceutiques. Je vois déjà toute la puissance que cette démarche aura lorsqu’elle s’appuiera sur les données colligées à l’aide de la santé connectée. Je me rends à St. Paul’s au Minnesota avec Jean pour y rencontrer Linda Strand. À ce moment-là, j’ai la conviction que je serai capable de produire ma vision et de transformer ma profession.
L’autre axe de Pharmacie 3.0, c’est la pharmacogénomique. En 2005, j’avais participé au projet Navigator à la demande de Eric Topol et j’avais envoyé un échantillon de salive pour obtenir mon profil génétique. Il y avait de plus en plus d’articles dans la littérature sur le sujet et en 2015, j’achète un Spartan Rx CYP219 pour Pharmacie 3.0. Ce produit, développé par une entreprise d’Ottawa, me permet d’effectuer des analyses en pharmacie, une autre première.
Cette année-là j’accueillerai Olivier, un étudiant en pharmacie de quatrième, pour un stage et il développera tous les formulaires qui permettront au pharmacien de communiquer les résultats de ces analyses au médecin.
Je serai invité par l’équipe de Banc public de Télé-Québec à venir parler de ma pharmacie 3.0 avec Guylaine Tremblay et cette activité médiatique me vaudra un appel du président de l’Association Québécois des Pharmaciens Propriétaires (AQPP). On me demande de faire partie de leur comité aviseur et de travailler à trouver des solutions au problèmes rencontrés par les pharmaciens dans leur négociation avec le Ministre de la Santé. C’est durant une des réunions de ce comité que me viendra l’idée de créer l’application 1-2-3 afin de quantifier l’impact qu’ont les conseils du pharmacien sur l’utilisation des soins de santé. Avec mon amie Candace, nous rédigeons une proposition et je réussis à convaincre des chercheurs des HEC, du Cirano et de l’UdeM d’en faire une étude qui sera par la suite publiée. Ce qui est formidable, c’est que cette démarche se trouve en fait être une mini-version de l’application mobile de soins pharmaceutiques que je veux créer avec l’Université Laval et que l’AQPP représente le client futur de ce produit.
Il n’y a pas que l’AQPP qui ait été impressionné par mon projet S.M.A.R.T. À ma grande surprise, je reçois la visite du Directeur canadien des opérations commerciales de Apple Canada à ma pharmacie. Celui-ci m’explique qu’ils ont été impressionnés par l’utilisation des iPad dans mon projet et il me demande si je veux devenir le premier pharmacien au monde à ouvrir un canal de distribution pour les iPad et la montre AppleWatch. Apple m’ouvre la porte à une entente de distribution avec iStore et l’entreprise ira jusqu’à importer un programme disponible qu’aux États-Unis qui me permettrait de louer des iPads pour les suivis de santé. À une condition : Que je développe un design qui sera approuvé par Apple en Californie. Je demande donc au designer Alain Desgagné de pondre ce à quoi ressemblerait l’intérieur d’une pharmacie 3.0, la pharmacie du futur. Après plus de six mois de travail, nous obtenons l’approbation!
Après Uniprix, je présenterai ce concept à deux autres bannières. La première passera à un cheveu d’aller de l’avant. Mais se défilera à la toute dernière minute. À la deuxième, je serai accompagné d’une déléguée de Apple Canada et on se fera dire que plus personne n’achète de iPad et que cette bannière a été pionnière de la santé connectée avec leur kiosque de prise de tension artérielle…
Cette collaboration avec Apple m’amène à rencontrer l’équipe de IBM Canada. Apple et IBM ont développé une centaine d’applications mobiles industrielles ensemble pour différentes industries et nous commençons à travailler sur l’idée de développer un nouveau logiciel de distribution en pharmacie dont l’interface serait créé par Apple et propulsé par IBM. Je suis passé à deux cheveux de convaincre une bannière québécoise de s’associer à nous pour créer une solution numérique qui nous libérerait des logiciels désuets et non-intelligents existants.
En 2014, je me rends à San Francisco avec ma fille Lili pour un congrès et j’en profite pour aller voir Eric Topol à San Diego. Un an auparavant, Eric avait interviewé Elizabeth Holmes de Theranos sur Medscape et elle faisait la manchette un peu partout. Comme je voyais un fit idéal pour Pharmacie 3.0 et le concept de Theranos, je demande à Eric de me mettre en contact avec elle.
Avec ce qui s’est passé, je lui suis reconnaissant de ne m’avoir jamais contacté 🙂
Mais pour en revenir à Pharmacie 3.0, l’idée du projet 1-2-3, la collaboration avec Apple et le développement d’un logiciel ne seront pas bien reçus par mes partenaires d’affaire dans Pharmacie 3.0. Il s’enchainera à partir de là une guerre qui me verra exclu du projet 1-2-3 et qui sera le prélude à deux années de bataille légale qui aboutiront à la mise en faillite de Pharmacie 3.0. Comble de malchance, c’est aussi durant cette période que le scandale du « roi de la pharmacie » éclatera, ce qui mettra le point final au projet de Pharmacie 3.0 chez Uniprix.
Un malheur n’arrive jamais seul. Alors que je navigue en eaux troubles, je commets une erreur à ma pharmacie en servant du Cymbalta 30 mg. au lieu du 60 mg. à un client et il déposera une plainte à l’Ordre des Pharmaciens. Je serai convoqué au comité de discipline de l’Ordre et « condamné » à payer une amende de $2,500.00. Cette histoire m’amènera à en apprendre plus sur la question des erreurs en pharmacie et sur l’inefficacité des méthodes de l’Ordre pour les juguler. Lorsque j’effectue mes recherches sur les meilleures façons de prévenir les erreurs, je me rends compte que la littérature démontre que l’approche punitive de l’Ordre est désuète et amène parfois un effet pervers qui pousse d’excellents pharmaciens à quitter la profession.
Cette année-là, comme l’année précédente, je suis contacté par des étudiants pour leur stage de quatrième année et je leur donne l’idée de créer un registre sur Google Drive pour quantifier et qualifier les incidents et les accidents en pharmacie. À notre grande surprise, on s’aperçoit de la sous-estimation du nombre d’incidents et d’accidents. Je plaide pour l’établissement d’un registre national des erreurs qui permettraient de cibler les erreurs les plus fréquentes puis d’offrir des programmes de formation mais ça reste lettre morte.
Mes investissements personnels dans ma Pharmacie 3.0 et ma bataille légale m’achèveront financièrement. Mais j’ai vécu une expérience incroyablement palpitante où j’ai eu l’impression de travailler à créer ce qui deviendrait la pharmacie de demain. J’ai assisté à plusieurs congrès de santé numérique en Californie, à Washington, Boston, et en Europe et j’ai donné des dizaines de conférences. J’ai fait l’objet d’articles et j’ai toujours été présenté comme l’innovateur dans mon milieu.
La remontée
J’ai l’impression d’avoir tout raté. La rancune, la honte et la déception m’accompagneront durant deux années. Deux années durant lesquelles je travaillerai comme pharmacien salarié, encore une fois la mort dans l’âme.
Quelques lueurs apparaissent. L’équipe de Entrée principale à Radio-Canada me demandent de faire des chroniques sur la pharmacie à leur émission une fois par mois. Je suis invité à donner des conférences sur la santé connectée au Canada et à l’étranger ou à donner mon opinion sur le sujet à différents médias. Je rédigerai des articles pour les Laboratoires Biron et L’Université McGill me demande de donner le cours sur la santé numérique durant leur programme de maîtrise internationale. Je travaille sur un projet avec le CUSM, l’AQPP et le CEFRIO afin de créer un nouvel acte pharmaceutique.
Puis, en juin 2020, c’est un coup de téléphone du CEO de la Croix-Rouge, me demandant de devenir le Chef des Solutions numériques qui m’aidera à me réinsérer dans un projet d’innovation technologique. J’y dirigerai une équipe de 20 personnes durant deux années et nous lancerons le logiciel qui sera utilisé par cet organisme communautaire dans la gestion des désastres.
Aujourd’hui, je récolte le fruit de toutes ces années. Je suis coach de jeunes entrepreneurs, administrateur de sociétés, aviseur d’organisations publiques et privées et je continue d’être ébloui par toutes les possibilités qu’offre l’innovation et la transformation. Je compte bien revivre toute la fébrilité que la vie d’entrepreneur m’a apportée, soit par jeunes entrepreneurs et entrepreneures interposés ou par moi-même.
À l’époque de Pharmacie 3.0, j’ai créé un groupe Facebook sur la santé numérique qui comptait plus de 700 membres. À chaque jour j’y publiais les résultats de ma veille technologique. Cette veille, je la faisais, comme toutes les autres, grâce à ma grande curiosité, ma soif de connaissances et mon désir de contribuer à faire avancer ma profession. Je dois l’éveil de cette curiosité à ma grand-mère. C’est elle, qui en m’abonnant à Québec Science quand j’avais douze ans, m’a ouvert la porte. Qui ne s’est jamais refermée.
Et durant les années de lutte, de confrontations et d’échecs, j’ai toujours pu compter sur la confiance inébranlable de Geneviève, Laurent, Lili-Avril, et de mes amis. En relisant les textes que j’ai écrits au fil des ans, je me suis rappelé que Geneviève en avait toujours assuré la correction. Celui-ci ne fait pas exception. Il a été corrigé et amélioré par ma «reine du français».
Pour me décrire, j’utilisais souvent l’analogie du cerf-volant. Quelqu’un devait tenir la corde pour me retenir, que je ne m’envole pas trop haut. Éric Beaudoin a tenu cette corde et au fil des ans, de partenaire d’affaire, est devenu un ami, un grand ami. André, Massimo et Suzanne m’ont aidé à traverser les crises sans jamais fléchir. Sans eux, il aurait été impossible de contrer les marées.
Sur mon blogue, je publie mes photos de gens rencontrés au hasard ou non et je leur pose à tous une question : Si je vous donnais la chance de changer une chose dans votre vie ce serait quoi? » Pour moi, la réponse est simple : Je ne changerais rien. Je me considère privilégié d’avoir pu faire tout ce que j’ai fait, de rencontrer tous les gens que j’ai rencontrés dans ce voyage et d’avoir toujours agi dans le sens du bien commun. On m’a souvent dit que j’étais trop en avance. En rétrospect, c’est clairement vrai. Et ma condition de bipolaire a probablement été un élément déclencheur de cette poursuite créative. Mais je n’étais pas dans le champ. Le site theheart.org génère plus de $70.0 millions de dollars par année, les pharmacies de Pointe-Claire et Lachine sont là, l’épicerie est ouverte. Les soins pharmaceutiques, la santé connectée, la pharmacogénomique sont des pratiques établies dans les juridictions évoluées. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’elles ne le soient ici.
Calestous Juma a écrit que si vous voulez connaître vos ennemis, commencez quelque chose de nouveau. C’est vrai. Et j’aime me rappeler les mots de Machiavel :
« Il n’y a point d’entreprise plus difficile, plus douteuse, ni plus dangereuse que celle de vouloir introduire de nouvelles lois. Parce que l’auteur a pour ennemis tous ceux qui se trouvent bien des anciennes, et pour tièdes défenseurs ceux même à qui les nouvelles tourneraient à profit. Et cette tiédeur vient en partie de la peur qu’ils ont de leurs adversaires, c’est à dire de ceux qui sont contents des anciennes ; et en partie de l’incrédulité des hommes, qui n’ont jamais bonne opinion des nouveaux établissements qu’après en avoir fait une longue expérience.
Le Prince, 1532
J’ai intitulé ce texte « 42 ». Parce j’aurai été pharmacien durant quarante-deux ans. Et comme Chris Martin de Coldplay le dit si bien dans la pièce du même nom :
« Time is so short and I’m sure,
There must be something more »
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J’ai souvent dit que Roger est fantastique et visionnaire. Pas d’âgisme chez moi: la rencontre de Roger (durant nos cinquantaines respectives) s’est avérée le fait le plus marquant de mes années en santé numérique. Je remercie Québec Science d’avoir alimenté sa curiosité intellectuelle qui ne s’est jamais assouvie. Mon admiration demeure sans borne !
Merci ma très chère Myriam! Et merci pour ta grande écoute, ton support et ton empathie!
roger
Un grand homme que j’ai eu le privilège de rencontrer. Merci pour ton enthousiasme et vision d’une meilleure pharmacie. Je suis de tes disciples qui croient encore à ce futur. Au plaisir d’aller enfin prendre ce café,
Julie
Merci Julie!. On se prendra ce café à ta convenance.
roger
Bonjour Roger,
On ne se connait pas beaucoup, je crois qu’on s’est rencontré une fois ou deux, mais j’ai su dès le départ que tu n’étais pas une personne comme les autres. Un plaisir à te lire, je ne me suis pas encore rendu à la fin, il y a beaucoup de matériel… C’est probablement un livre qu’il faudrait.
Bonne continuation !
Merci pour tes bons mots Éric.
Je me souviens de nos rencontres chez Gene (Cossette) avec Réjean.
J’espère que tout va bien.
Je pense à ce que sera la prochaine mouture. Ce format là m’a permis de rapidement toucher aux grandes lignes et de rapailler mes vieilles découpures.
À suivre!
roger
You’re back in the game you play so well. A Phoenix in disguise. Life is short but for you it gets longer. A discovery at every twist and turn of the helix leads to new adventures to quench your thirst for knowledge, never satisfied, never giving up, never knowing where you’ll end up. And wherever it may be your resources are inexhaustible and in hind sight your navigation weathers the storms.
Hail to the resilient captain.
Merci for your kind (and so well-crafted words) words Rosemary!
salut Roger!
je me souviens de projets où les méthodes n’étaient pas selon les standards de la compagnie mais comme les résultats ont été supérieurs aux attentes on n’a pu que te féliciter! Santé mon cher ami!
Merci pour tout Marc! Notre longue collaboration aura été le premier jalon d’une merveilleuse aventure. Qui s’est poursuivi avec HPV Action Globale et qui continue!
« Ouf Roger. Je finis à l’instant la correction de ton texte. C’est tellement beau, j’en pleure »
Ce texto que je t’ai envoyé, Roger, après la correction de ton texte. Préjugé favorable? Peut-être. Mais surtout expériences partagées.
Bravo Roro pour ce chemin de réalisations mais parsemé aussi d’embûches!
Il en est ainsi d’être ce ceux qui sont visionnaires et créatifs. Douce suite dans cette nouvelle étape de transmission.❤️
Merci d’avoir pris le temps de lire et pour tes bons mots Louise.
roro
xxx