Roger préfère «l’imparfait».

Il m’envoie la photo d’un banc. Un banc «imparfait». Il manque à ce banc, une «vue». Par exemple, une vue sur Manhattan.

Je repense à un souvenir que Roger m’a raconté. Ce souvenir implique une personne, très proche de lui, qui traverse un pont pour la dernière fois. J’imagine alors que Roger traverse ce pont que je regarde. Il traverse ce pont pour venir me rejoindre.

Pour qu’on discute de «l’imparfait». De tous ces détails qui rendent notre vie «imparfaite». Et en discutant ensemble, on réalise, que tout ce qui a marqué profondément nos vies respectives, est: «imparfait».

C’est à ce moment précis de l’histoire que je change de temps. Alors que j’imaginais être en train de vous raconter un truc au présent, j’étais plutôt en train de vous raconter un souvenir inventé que moi et Roger avions décidé de taire.

On s’était mis d’accord sur l’imperfection de notre relation et on avait choisi de l’entretenir «imparfaite», justement. Roger a déjà donné dans la recherche de la perfection. Avec à la clé, un profond sentiment d’injustice.

La perfection est un idéal qui tue. À force de trop chercher à l’atteindre, on se transforme en monstre, autant pour les autres que pour nous-mêmes. On devient expert de rien, et on s’accroche à ce rien qui ne veut rien dire. Alors que dans l’imperfection, on découvre la profondeur de notre ignorance et on s’amuse à apprendre tout ce qu’on ne sait pas.

On le savait déjà, mais on l’avait oublié…

Marc Roberge